Au jeu des échecs, lorsque le roi, sans être mis en échec, ne peut plus bouger, on dit qu’il est « pat ». Pris au piège, sans être mort, incapable de bouger, prisonnier de plusieurs pièces adverses qui l’immobilisent.

Un jour, en écoutant une personne que j’accompagnais, j’ai fait le rapprochement entre cet état et ce qui se passe dans la tête de personnes en chemin vers le burnout.

Les contraintes sont externes et internes

Aux échecs, le roi est pris dans un faisceau d’attaques multiples qui l’empêche de bouger. Et dans la vraie vie, le « pat » signifie donc que la personne est prise dans un filet de contraintes multiples, l’immobilisant et l’empêchant de vivre sereinement, c’est-à-dire l’empêchant de fuir, de se battre, d’évoluer, d’avancer, de changer sereinement, … Ces contraintes multiples comprennent évidemment des aspects externes à la personne : surcharge de travail, mise au placard, harcèlement, violence, absence de reconnaissance, dévalorisation, … et j’en passe, tellement les causes externes sont nombreuses et maintenant bien connues.

Et il y a aussi des contraintes internes : pas envie de lâcher, peur de déplaire, sentiment d’injustice, envie de relever les défis quitte à se suradapter, … là aussi les causes internes sont nombreuses, et bien connues.

Pour les décrire, je pourrais vous parler des drivers (de l’analyse transactionnelle), comment le « sois fort-e » me demande d’être infaillible coûte que coûte, comment le « sois parfait-e » m’amène par perfectionnisme à ne rien lâcher, ni du volume de travail, ni de la qualité de travail, comment le « fais plaisir » m’amène à tout accepter des autres, comment le « fais des efforts » me donne un rapport particulier au cadre et à l’autorité, et comment le « dépêche-toi » m’impose d’avoir terminé avant d’avoir commencé.

Le « pat » représente un danger immédiat

Aujourd’hui, j’ai envie de continuer à vous parler du jeu d’échecs. Le roi en « pat » peut être une stratégie pour faire match nul alors que la partie semblait mal engagée. Mais la plupart du temps, un roi immobilisé est plutôt en danger car il est au bord d’être « échec et mat ». Pour éviter cette fin funeste, il existe plusieurs stratégies échiquéennes, qui reviennent toutes finalement au même : éliminer les contraintes les unes après les autres (soit en mangeant les pièces adverses, soit en faisant en sorte qu’une de nos pièces fasse barrage à l’attaque des pièces adverses).

Et donc, que faire ?

Et dans la vraie vie, éliminer les contraintes, c’est cesser de vouloir tout à la fois. Par exemple vouloir rester dans son travail alors qu’on y est en souffrance. Plusieurs versions peuvent se présenter : « Je ne ferai pas ce plaisir à mon patron, je ne partirai pas, c’est à lui de changer », ou bien « Si je pars, je vais devenir quoi ? », ou encore « Je ne peux pas abandonner mes collègues… ». Et je vous laisse imaginer d’autres phrases du même goût.

Le propre de la double contrainte (voire triple, quadruple, …), c’est que les scenarii qui se présentent à moi sont en contradiction, je ne peux pas en suivre un sans qu’un autre m’en empêche, donc je ne bouge pas, je reste en « pat ».

Seulement voilà, les choses sont ce qu’elles sont :  je ne changerai jamais mon patron, non la situation ne s’améliorera pas, et mes collègues sont de grandes personnes responsables qui se débrouilleront sans moi (elles l’ont d’ailleurs déjà fait avant que je ne les connaisse).

Première approche, donc : prendre les choses telles qu’elles viennent, en arrêtant de lutter vainement contre les moulins, et en gardant son énergie pour les choses que l’on peut vraiment changer, ce qui revient à lâcher-prise. La démarche personnelle qui va avec est de sortir des jugements, de revenir à ses objectifs, de mettre à distance les émotions. Par exemple, « je suis harcelé par mon manager/un collègue ». Le lâcher-prise consiste déjà, dans un premier temps, à constater ce fait. Nombre de personnes n’ont pas conscience qu’elles sont victimes de ce phénomène. La deuxième étape consiste à constater également que « je ne changerai pas la personne harcelante », en tout cas pas sans une affirmation plus forte.

Une deuxième et complémentaire approche est de se recentrer sur ses vrais besoins, ses valeurs, ses principes de vie importants. J’en veux pour preuve les témoignages des personnes qui ont dépassé un burnout, parfois long, en recentrant leurs vies sur des principes importants et forts. En réalité, personne n’a jamais réussi à mettre en place la vie qu’il souhaite sans affirmer des besoins forts. Si je reprends l’exemple ci-dessus, un recentrage sur ses besoins (être respecté, se sentir en sécurité, se sentir valorisé, …) permet de mettre en priorité le changement d’environnement, parfois même de façon plus urgente que de devoir subvenir à ses besoins financiers.

Et enfin, à l’instar du roi sur l’échiquier, la troisième approche nous dit que s’appuyer sur l’aide des autres est nécessaire et souvent inévitable pour sortir du filet. Toujours sur le même exemple, l’aide et le soutien permettent de sortir de l’emprise, de prendre conscience et de prendre les bonnes décisions.

Quelle approche choisir ? Les trois mon capitaine. Dans l’ordre que vous voulez, tout en sachant qu’elles partent toutes d’une volonté, celle de décider de sa vie.