Depuis tout petit je suis tout à la fois fasciné et apeuré par les phénomènes de groupe. Par exemple, je me demande toujours comment de paisibles pères de famille, souhaitant avant tout le bonheur des leurs, en viennent à marcher au pas et devenir de monstrueux soldats. Comment de pacifiques voisins, soudain, vous prédisent votre mort parce que vous ne vous êtes pas fait vacciner. Comment d’adorables personnes basculent dans les idées politiques extrêmes.
Et dans un versant plus positif, comment de « simples » instrumentistes interprètent une œuvre musicale majeure, comment une collection d’individus aux physiques très disparates contribuent tous à créer une équipe de rugby, comment… je pourrai en donner des exemples à l’infini.

Depuis tout petit je fais ces allers-retours entre la vision d’ensemble d’un groupe, une entité vivante à part entière, et la vision microscopique de l’individu, une autre entité vivante qui compose le groupe. Une symbiose pour le meilleur et pour le pire.
Un médecin parlerait d’allers-retours entre le corps, les organes et les cellules.

 

Ces phénomènes systémiques, assez bien connus maintenant, mettent en jeu une multitude de facteurs. Vous pouvez lire ou relire la théorie organisationnelle de Berne si vous souhaitez vous en convaincre.

Pour ma part, j’ai choisi aujourd’hui un angle d’approche particulier : vous parler d’un antagonisme (apparent) entre le conformisme de groupe et l’affirmation de liberté à tout crin. Entre deux comportements extrêmes et surtout qui paraissent antinomiques, je ne peux résister à l’envie de faire négocier ces deux approches :

– Très cher Conformisme, quel est ton souhait le plus cher ?
– Moi, je veux quelque chose de naturel : la stabilité et l’ordre. Et surtout, que nous soyons tous en harmonie !

 

 

– Et toi, très chère Liberté, quel est ton souhait le plus cher ?
– Moi, c’est simple, je veux que les gens puissent s’épanouir, je veux de la créativité, du bonheur et de la joie !

 

 

– Je reviens vers toi, Conformisme, quand tu dis que tu veux de l’harmonie, en quoi est-ce important pour toi ?
– Et bien, ce qui est important pour moi, c’est que chacun puisse trouver sa place au sein du collectif, et seule l’harmonie le permet.

 

 

– Et toi, Liberté, en quoi est-ce important pour toi que chacun s’épanouisse ?
– C’est tout simple, je veux que chacun puisse trouver sa place ! Et seule la liberté le permet.

 

 

– C’est intéressant, vous êtes finalement tous les deux d’accord sur vos intentions profondes : que chacun trouve sa place !

Nous aurions pu continuer cette négociation entre deux parties a priori en désaccord, mais en réalité en désaccord seulement sur les moyens d’arriver au même but.
Derrière le conflit stérile entre deux tendances apparemment contraires, , ce que nous cherchons c’est « comment faire en sorte qu’elles collaborent vers un même but ? « 

 

Dans un dialogue des parties comme celui-ci, on cherche la collaboration des deux parties en opposition, c’est-à-dire que l’on cherche à leur faire adopter des comportements productifs qui continuent de servir l’intention mutuelle.

Ici, on chercherait à faire en sorte que Conformisme et Liberté travaillent ensemble vers leur but commun : que chacun trouve sa place et son utilité dans le groupe.
Par exemple, Conformisme pourrait expliquer à Liberté ce que le cadre (la loi, le règlement, …) apporte comme liberté : la sécurité, les autorisations qui apparaissent en négatif des interdictions, … Tandis que Liberté pourrait expliquer à Conformisme dans quelle mesure il ne souhaite pas remettre en cause le système et qu’il apporte justement des stratégies nouvelles et de la créativité.

Il serait, dans ce cas, de la responsabilité du leadership du groupe de faire dialoguer ces deux tendances afin qu’elles collaborent vers les buts communs de l’équipe.

 

Tout ceci vous parait très théorique ?

 

Et bien imaginez que votre concurrent ait soudainement pris un temps d’avance en annonçant la sortie d’un produit révolutionnaire.

Vous mettez les « Conformisme » à contribution pour analyser le produit et envisager la riposte. Seulement voilà, les « Conformisme » vous annoncent que rattraper ce retard, en respectant les procédures internes, prendra plusieurs mois. C’est inenvisageable pour vous, c’est une question de survie.

Vous vous tournez alors vers les « Liberté » qui vous disent qu’il faut court-circuiter les procédures pour libérer la créativité et aller plus vite. Inenvisageable pour vous également, car cela vous fera retourner plusieurs années en arrière, lorsque vous travailliez en mode « improvisation ».

Si le but commun est de rattraper le retard face à votre concurrent, en revanche chacun propose un comportement qui lui est naturel et donc qui vous laisse dans l’impasse du tout l’un ou tout l’autre.

Imaginez qu’alors vous disiez à vos équipes : « nous avons tous le challenge de, non seulement rattraper notre retard, mais également de nous dépasser et de dépasser notre concurrent, que proposez-vous comme organisation afin que chacun apporte ses compétences ? ».
Je parierais presque qu’il ressortira des choses du genre : mettons en place une task-force ponctuelle chargée de réaliser un saut quantique dans notre produit. Cette task-force comprendra des créatifs qui pensent « hors cadre », et des organisationnels qui travailleront en parallèle à l’industrialisation future. Ils devront coopérer, c’est-à-dire tenir compte des avis des uns et des autres, en gardant bien à l’esprit le but commun.

Plutôt agile, non ?